Qui aurait cru que dans le sillage d’un simple aileron, pouvaient en réalité se cacher une révolution sportive et un renouveau industriel ? C’est le tour de magie réalisé par les entrepreneurs français. À l'usine de Foil and Co, à Pencran (Finistère), chaque jour, de fines feuilles de fibre de carbone se transforment en des dizaines de foils robustes, au terme d’un usinage ultra-moderne.
Ce petit bourg de moins de 2000 habitants, situé à une trentaine de kilomètres au sud de Brest, accueille depuis février 2022 le premier producteur européen d’hydrofoils dans sa zone industrielle.
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Ce n’est pas un hasard si la France compte dans ses rangs ce champion de la production. Avec Foil and Co, de nombreuses autres entreprises françaises ont investi le marché international du foil. C’est le cas de Sroka, Phantom, Alpine Foil, Lokefoil ou encore Ketos. Si la France, et particulièrement la Bretagne - surnommée « la foiling valley » par les initiés -, espère tirer les bénéfices du développement de la pratique des sports à foil, c’est avant tout car le pays s'appuie sur une industrie nautique performante.
« 50% des fabricants de foils dans le monde sont des entreprises françaises », dévoile Tanguy Le Bihan, le patron de Foil and Co, sous sa barbe grisonnante. En 2016, cet ancien ingénieur naval a flairé le filon : parier sur le développement de l’aileron de carbone, encore embryonnaire dans les sports nautiques. Devant l’un des modélisateurs de l’usine, qui travaille sur ordinateur au design d’un prototype, il l’affirme : « l’arrivée du foil dans les sports de glisse peut se comparer à celle du web dans l’informatique. »
Dans des disciplines où les avancées techniques du matériel sont la condition même de la performance, la France dispose d’un réel atout pour le développement des foils qui viendront se greffer sous les planches de ses sportifs de haut-niveau. Les athlètes en sont conscients : le contact direct avec les ingénieurs et les machines qui façonnent leur équipement est un privilège.
Champion du monde 2021 de windsfurf, Nicolas Goyard s’équipe avec des foils Phantom, une entreprise basée à Dinard (Ille-et-Vilaine) et créée en 2012. « On vise la performance et on collecte le maximum de données pour développer les prototypes qui seront les plus efficaces pour nous apprendre de nouvelles choses », confie le numéro 1 mondial de sa discipline.
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« Nous nous appuyons sur la supériorité technologique des entreprises françaises en matière d’aéronautique pour dessiner les foils de demain », insiste Bruno Sroka, trois fois champion du monde de kitesurf, dans le hangar vieillissant où il stocke son matériel, en banlieue brestoise. Le Finistérien a l’embarras du choix pour dessiner le foil le plus performant : « Il existe 7000 profils imaginables de foils qui sont issus de l’aviation ou ont été développés dans le monde maritime. »
Dans les locaux flambant neufs de Foil and Co, aux 2700 m² de surface, 30 salariés travaillent sur le développement et la production des foils des 4 marques du groupe : AFS, AHD, Nahskwell et Sealion. Distribuées à l’international, elles sont présentes dans le monde du windfoil, windsurf, wingfoil, surf foil, et du stand up-paddle, avec ou sans foil. Les modélisateurs, shapers et employés qualifiés s’y mélangent aux ingénieurs tout au long de la chaîne de production.
Une exception dans un secteur où la plupart des pièces sont produites en Asie. Et ce modèle fonctionne. En 2021, l’entreprise a vendu près de 1200 foils, triplant par la même occasion son chiffre d’affaires pour atteindre 3 millions d’euros. Cette production industrielle s’avère être un préalable pour l’extension de la pratique sur le littoral français, mais également dans le monde.
« Il y a 5 ans, le foil était encore réservé à l’élite, mais l’Américain Alex Aguera, fondateur de la marque Go Foil, l’a rendu accessible au grand public en développant de grosses surfaces de portance, pour optimiser leur maniabilité », raconte Bruno Sroka. Cette nouvelle façon de s’approprier le foil a permis de créer de nouvelles pratiques, comme le wingfoil.
Apparue en 2019, cette discipline se pratique sur une planche à l'aide d'une aile gonflable. « Son succès populaire illustre exactement notre pari, confie Tanguy Le Bihan. Nous voulons être capable de faire voler quelqu’un qui n’a jamais pratiqué les loisirs nautiques en très peu de temps. »
Cette extension de la pratique effraie plusieurs municipalités. Outre les risques liés à sa hauteur et sa vitesse, le foil peut en effet s’avérer tranchant. Plusieurs communes comme Anglet ou Seignosse, sur la côte atlantique, ont déjà pris des mesures d’interdiction partielles ou totales sur leurs plages par crainte de collisions aux conséquences graves.
« On ne peut pas faire des foils en mousse, c’est sûr, mais en respectant certaines consignes et en étant prudent, le foil n’est pas beaucoup plus dangereux qu’un autre sport de planche », analyse Philippe Abgrall, dirigeant et éducateur de la Kitesardin School, école de kitesurf et de wingfoil à Douarnenez, en Bretagne.
Tout comme Bruno Sroka, le Breton a une priorité : « Éviter que la recherche de la performance ne rende la pratique du foil trop élitiste. » Pour maintenir les tarifs de son matériel à des prix abordables, Sroka mise sur l’aluminium, un matériau moins performant mais plus robuste que le carbone, qui reste léger et plus accessible.
Chez Sroka, il faut compter 900 euros pour un foil d’entrée de gamme délivré sans planche. Un prix avantageux par rapport aux 6000 euros des pièces les plus techniques du marché. Mais largement concurrencé par l’arrivée des géants de la grande distribution sportive. Depuis 2021, Decathlon propose un kit complet de surf foil, alliant le foil (590 euros) et la planche adéquate (390 euros) pour un total de 980 euros.
Cette clientèle en devenir est la clé du développement économique des entreprises du secteur. « Aujourd’hui le marché du foil est encore immature, juge Tanguy Le Bihan de Foil and Co. Mais avec 25 millions de pratiquants du surf dans le monde pour seulement 0,1% de foileurs, le potentiel de croissance est énorme. Nous comptons multiplier notre chiffre d’affaires jusqu’à 50 fois dans les prochaines années. »
Cette manne pourrait également s’étendre au secteur du motonautisme et du transport maritime. « Grâce au foiling, on peut améliorer le confort et l’efficience énergétique des bateaux en réduisant leur consommation d’énergie fossile de 40% », analyse l’ancien architecte naval. Dans le sillage du foil et de sa pratique croissante chez les amateurs se dresse donc une réelle perspective de révolution technologique. « Nous n’en sommes qu’aux prémices », présage l’Hawaïen Laird Hamilton, pionnier du foil. Et cette révolution devrait se propager bien au-delà du sport.
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