« Je vais y rester dans le foil, c’est pas fini. » Pour Thomas Goyard, ça semble même n’être que le début. Le vice-champion olympique de planche à voile a délaissé sa RS-X, planche qui l’a sacré l’été dernier à Tokyo mais qui faisait sa dernière apparition aux Jeux. Maintenant, place au foil. Un support nouveau, qui demande une grande adaptation au médaillé français.
Pas question de baisser les bras pour le natif de la Martinique, au contraire : « Voir de la nouveauté dans la discipline, ça m’a aidé à enquiller après les Jeux. » Le compte à rebours est déjà lancé. Il lui reste deux ans pour se convertir pleinement au foil et défendre sa médaille sur le plan d’eau de Marseille, en 2024. Le défi est de taille. Un seul ticket est qualificatif par nation, pour les femmes comme pour les hommes.
À Hyères, le coup de sifflet de Stéphane Krause déchire le calme du spot de l’Almanarre. Une plage mythique du littoral méditerranéen. Dans sa salopette imperméable floquée « FRANCE », l'entraîneur observe Thomas Goyard depuis un zodiac. Fin mars 2022, dans le Var, au bord de la Méditerranée, 18 planchistes de l’équipe de France sont en stage.

L’eau est turquoise, le soleil déjà radieux. « C’est light aujourd’hui. Tout le monde est en foil », glisse le coach, un œil sur le chronomètre. Traduction : peu de vent, les conditions sont idéales pour naviguer en foil. Cette aile de carbone est fixée sous la planche, à l’endroit même où l’aileron traditionnel était installé jusqu’alors. Mais grande nouveauté, elle permet de s’élever au-dessus de l’eau.
Les adeptes et performeurs des supports traditionnels se tournent progressivement vers le foil, devenu presque incontournable dans les sports de glisse. « Il y a 2 ou 3 ans, on était plus rapides sur le support traditionnel, estime la championne du monde de foil Marion Mortefon, lunettes de soleil sur le nez, en tailleur sur le sable de l’Almanarre. Là, il commence à y avoir sérieusement match, même dans des conditions de vent plus fortes », à partir de 25 à 30 nœuds (46 à 55 km/h).
« C'est un sport plus ludique », se réjouit Nicolas Goyard, le frère de Thomas. Champion du monde en titre de windfoil, il n’hésite pas à parler de « révolution dans les sports de glisse. » « Les kites, les wings, les paddles, les surfs… Il y a 7-8 ans, il était impensable de voir un foil sur tous ces supports », se remémore le planchiste de 26 ans, peau saline et barbe hirsute sur la terrasse du club de voile, après son entraînement.
Il vit en colocation avec Thomas depuis deux ans. Dans leur villa des années soixante, sur les hauteurs de Carqueiranne, l’armoire à trophées est bien remplie. Face au jardin quasi à l’abandon, un vieux rameur est entreposé sur la terrasse de la propriété. Une carcasse de trottinette électrique jonche le sol et des outils de bricolage sont éparpillés sur une grande table en bois. Ce joyeux bazar contraste avec l’esprit cartésien des champions, tous deux ayant suivi une formation d’ingénieur.
Nicolas, le cadet de la fratrie, a tout misé sur le foil avant que ce support n’explose et ne prenne de l’ampleur au niveau international. Ce pari et sa qualification d’ingénieur lui donnent un temps d’avance pour optimiser les performances de l’aile de carbone. Le foileur le concède : « Sur l’eau, je ne suis pas forcément le plus technique ni le meilleur physiquement, mais je consacre 60 à 70 % de mon temps au développement et à la réflexion sur le matériel. Je suis vraiment extrême là-dessus. Cela me différencie de pas mal d'athlètes. »

À l’image de la Formule 1 et de sa lutte entre les constructeurs, le foil a accru la technicisation de la planche à voile. « Notre discipline, ce sont des marques qui se tirent la bourre et qui veulent être les meilleures », analyse Stéphane Krause, le coach tricolore. Une course à la performance décuplée dans un secteur nouveau. Prochain objectif pour les entreprises spécialisées dans la fabrication de foils, une meilleure efficacité dans les conditions les plus fortes, où les supports traditionnels restent privilégiés.
Les sportifs aussi sont acteurs de leur matériel. Sur le plan d’eau de l’Almanarre, Thomas Goyard n’hésite pas à interrompre sa séance d’entraînement pour ajuster son foil. Ces allers-retours vers son van, garé sur le parking voisin, lui permettent d’optimiser son équipement en fonction de ses sensations. Un jeu de réglages bien plus décisif que sur l’ancien support.

Le médaillé de Tokyo va même plus loin. Comme son cadet, il participe lui-même à la conception de ses planches, avec leur équipementier Phantom.
Mais maîtriser la technologie ne suffit pas, les athlètes doivent s’adapter mentalement. « En foil, il y a des barrières à passer en termes d'engagement, reconnaît Marion Mortefon. La prépa mentale est un peu différente. » La vitesse, les chutes et les chocs sur l’eau, plus violents que sur le support traditionnel, doivent être apprivoisés par les foileurs.
Pour ne pas se faire mal, la gestion de la hauteur est un nouveau paramètre à prendre en compte. « Tu peux partir en catapulte et il peut y avoir un gros choc au niveau de la ceinture ou des côtes », détaille l’entraîneur Stéphane Krause. « Il faut savoir tomber et avoir la préparation physique nécessaire pour absorber les chocs. » Les windfoileurs sont maintenant dotés d’un casque et d’une veste d’impact. Elle semble déjà loin, l’époque de la casquette et du marcel sur la planche à dérive.